EMIL CONSTANTINESCU
Europa der Zukunft: politische, wirtschaftliche oder geistliche Union? »»»
Europe of the future: A political, economic, or spiritual Union? »»»
Il semble que les défis du présent sont tellement pressants et importants que nous sommes souvent obligés de formuler une réponse avant de nous confronter avec les signes d’un avenir marqué par l’incertitude. Cependant, le monde change vite autour de nous. Parler d’une manière de laquelle l’Union Européenne peut faire face au troisième millenium est d’abord un défi intellectuel. La prétention de montrer une perspective vraiment nouvelle pourrait paraître audacieuse. Dans un monde globalisé qui prétendait de construire une société du savoir, on ne peut pas concevoir le présent sans le subordonner à l’avenir. Même dans une Europe dont le passé de deux milleniums est aussi exaltant que douloureux, le présent même se dévoile comme un souvenir de l’avenir.
Lorsque je me préparais pour ce débat où je suis heureux de revoir des personnalités pour lesquelles l’Union Européenne a été également un objectif académique et une mission politique, j’ai profité du confinement imposé par la Pandémie pour revisiter quelques livres qui ont marqué mon parcours intellectuel.
En lisant « Faust » de nouveau, j’ai compris qu’au-delà du drame du vieux savant qui vend son âme au diable pour acquérir la jeunesse, ce livre accueille dans ses pages une étonnante prévision concernant l’Europe contemporaine aussi. À un moment où les aubes de la révolution industrielle à peine s’entrevoyaient, Goethe a anticipé les défis avec lesquels l’Europe se confronte à présent. Le dernier chapitre de la tragédie à laquelle Goethe a dédié six décennies présente Faust préparé à construire une grande ville et un canal. Pour pouvoir les construire, il doit aussi démolir. La petite maison de deux vieux empêche son grand programme urbanistique et donc il envoie Méphistophélès pour les persuader de déménager. Méphistophélès en profite et il tue les vieux. Cette situation dérange Faust, mais pas beaucoup, car il accepte l’existence des sacrifices. Lorsqu’il était immergé dans son projet, quatre ombres noires apparaissent : La Famine, La Dette, La Détresse et le Souci. Lorsqu’elles s’approchaient de la maison de Faust, elles s’arrêtent, en disant : « Nous ne pouvons pas entrer dans la maison d’un riche », mais Le Souci qui « peut entrer partout » demande Faust s’il n’avait jamais connu ce sentiment. Faust, avec l’arrogance de l’individu immergé dans ses activités, répond qu’il n’avait jamais eu des soucis. Alors, Le souci l’aveugla, parce que seulement les aveugles n’ont pas de soucis concernant l’avenir. Un aveugle Faust se dépêche de finir son œuvre. Il est heureux de pouvoir entendre le son des pioches qui construisaient le canal, sauf que les ouvriers ne creusaient pas le canal, mais son tombeau. Après déclarer à Méphistophélès qu’il était heureux, son âme revenait au diable, selon le contrat conclu. Malgré les méchancetés qu’il avait commises avec Méphistophélès, Faust est sauvé par Dieu, qui avait vu son dernier Action, dédié pas à son intérêt personnel, mais à un meilleur avenir pour l’humanité. Le message de Goethe suggère que celui qui a dédié sa vie à un grand projet mérite de rester dans la mémoire de la postérité. Décisive a été toute même l’intervention de Marguerite, malheureuse victime de sa passion coupable, qui a imploré la Vierge Marie de sauver l’âme de Faust. C’est bien de construire, d’utiliser ses ressources créatrices, nous dit Goethe, mais on ne doit jamais oublier que fin de comptes c’est un vrai amour qui peut sauver son âme.
Pourquoi j’ai évoqué un ouvrage écrit il y a 247 années ? Parce que je crois que dans ces moments de crise, l’Europe a besoin d’une vision qui nous permette, dans un monde qui change vite, d’imaginer ce qu’il est impensable aujourd’hui. C’est à base de cette vision que nous pourrons élaborer des stratégies de développement et les politiques publiques d’un cycle électoral. Je crois aussi que l’Europe a besoin – à part de l’acquis communautaire, des projets économiques, administratifs, sociaux, militaires – de redécouvrir l’ethos européen qu’elle a apparemment perdu.
Une réponse correcte à la question Quel sera-t-il l’avenir de l’Union Européenne ? est l’un des grands défis intellectuels du vingtième siècle, car le développement du projet politique, économique et militaire actuel ne peut plus continuer sans un modèle culturel solide, cohérent et surtout largement accepté.
Une fois l’Union Européenne transformée dans un projet à caractère prédominant politique et économique, la division Euro-enthousiastes – Euro-sceptiques est souvent formelle et déterminée par des raisons politiques, économiques, sociales ou émotionnelles.
L’Union Européenne se confronte aujourd’hui avec des problèmes qui menacent non seulement sa structure administrative actuelle, mais ils s’érigent dans des défis pour son avenir – leur mise en débat ne peut être ni évité ni remis à plus tard. Parmi ces défis, quelques-uns me semblent prioritaires. Le plus récent, le Brexit, a créé un précèdent pour que les Eurosceptiques quittent l’Union Européenne et devrait déterminer une réforme du cadre politique et administratif concernant la réduction de la bureaucratie excessive. L’intégration rapide des pays des Balkans de l’Ouest qui ont fait des sacrifices pour solutionner leurs conflits internes et étrangers et pour consolider leurs relations mutuelles est nécessaire. C’est le moment d’établir les limites de l’expansion de l’Union Européenne vers l’Est, autant que le cadre législatif actuel le permet, ou de trouver des formes crédibles d’association pour éliminer l’ambiguïté actuelle. La migration depuis l’espace du Moyen Orient et l’Afrique du Nord a testé la capacité de l’Union Européenne d’accepter et intégrer une population importante, diverse, ayant des croyances et options de vie différentes. C’est un teste permanent, avec des essais d’adaptation aux conditions de temps et d’espace, dans un effort de protéger et fournir assistance à ceux qui sont proies à des risques considérables pour se protéger contre la guerre, les persécutions et la pauvreté. Ils voient l’Europe comme une terre sure où ils peuvent recevoir protection et aide pour qu’ils puissent commencer une nouvelle vie, mais leur intégration a été un problème difficile à solutionner dans l’absence des affinités culturelles avec le nouvel environnement où ils ont choisi de vivre, dans le contexte du respect mutuel.
N’oublions pas que l’Union Européenne est un projet exceptionnel, raffiné tout le temps par des traités, institutions et expériences. Une œuvre unique, créée par l’union volontaire des états autour des valeurs en développement permanent et adaptation à la réalité fluctuante. L’Union Européenne est un processus continu d’apprentissage de la démocratie, des droits et des libertés, de la solidarité, édifiés dans l’espace européen, qui se retrouvent dans des endroits plus éloignés, où la civilisation européenne a été adoptée.
Les dernières crises mondiales et la Pandémie Covid-19 ont dévoilé, à part des difficultés économiques et sociales, quelque chose plus profonde : le clivage entre le système politique et économique mondialisé actuel et les modèles culturels qui ont défini le début de l’Union Européenne.
Dans l’absence d’une connaissance des bases culturelles du projet de l’Union Européenne, les analyses de civilisation éprouvent une fragmentation indésirable. Les crises économiques, politiques et la nouvelle crise sanitaire nous rappellent l’avertissement de Robert Schuman en 1963 : « Avant de devenir une alliance militaire ou économique, l’Europe doit devenir une identité culturelle dans le sens parfait du mot ».
Le temps passe de plus en plus vite dans ce siècle. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut se dépêcher, avant de réfléchir. Notre passé définit notre avenir, que ça nous plaît ou non. Pour saisir un aspect positif du confinement de la Pandémie Covid-19, on peut s’imaginer le sentiment d’un chauffeur pressé d’arriver à sa destination qui doit s’arrêter au feu rouge. D’abord, il s’énerve. Ensuite, il se rend compte que, dans la circulation infernale, cet arrêt est bienvenu car il a lui permit de regarder dans le miroir les voitures derrière lui, à côté de lui et, après avoir nettoyé bien le pare-brise, il a pu voir le boulevard devant lui, les carrefours, les croisements de routes et mêmes les dénivellations de l’asphalte. Il a eu le temps d’écouter les trépidations du moteur et de régler la consommation d’essence. Comme la voix du GPS s’est arrêtée, il a pu examiner les monuments historiques et culturels autour de lui et il a pu se rappeler comment il est arrivé dans cette ville. En utilisant cette allégorie, je veux dire qu’on a besoin de quelque chose de plus, à part les projets de politiques publiques que chaque pays doit soumettre à la Commission Européenne, aussi que les stratégies de 2030 et 2050.
Le vingtième siècle a besoin d’un nouveau modèle culturel capable de répondre non seulement aux chocs économiques et sociaux de la mondialisation, mais aussi de créer une vision de l’espoir dans un avenir marqué par des développements chaotiques et par l’incertitude. Il existe maintenant une chance historique à un tel projet. Au début, on a besoin d’une analyse critique des deux projets politiques qui ont été le moteur du progrès mondial par la démocratie et l’économie du marché, pour voir comment ils peuvent faire face à un monde qui a changé considérablement : les États Unis et l’Union Européenne. Les deux constructions politiques, quoiqu’elles partagent des valeurs et des principes communs, elles ont une identité distincte qui repose sur les conditions historiques différentes qui ont marqué leurs origines.
Le projet politique américain a fonctionné comme un « melting pot » où les émigrants qui avaient quitté les empires absolus européens ont adopté une seule langue (l’anglais), une nouvelle doctrine religieuse (néo-protestantisme), une doctrine économique (économie de marché capitaliste), et un autre système politique (démocratie représentative), réunis sous la fierté d’un modèle unique valable pour le monde entier : le modèle américain. Cette cohésion a généré force et attraction pour le reste du monde, mais si cette unité et solidarité s’affaiblissent, comme on voit à présent, les États Unis, malgré leur force dans le monde, deviennent vulnérables chez eux.
Le projet politique de l’Union Européenne s’est façonné à la fin d’une tragédie historique qui a ensanglanté le monde, la Deuxième Guerre mondiale, et a donné une nouvelle chance d’assurer la paix à l’Europe et au monde.
Konrad Adenauer, après avoir été élu président de l’union Chrétienne Démocrate, il y a moins d’un an après la capitulation de l’Allemagne nazi, fait une confession de ses convictions lors de son discours en mars 1946, à l’Université de Cologne, située dans la zone d’occupation militaire britannique : « Je suis et je reste allemand mais j’ai été également européen et j’ai toujours senti ça »[1]. Le mot clé dans ce discours est « sentir ». Dans une Europe qui avait perdu des millions de vies, il ne s’agissait pas d’argent, mais des sentiments profonds de culpabilité et d’espoir. Dans la conscience collective, la Paix signifiait la Vie. Dans une zone « d’occupation britannique », il s’agissait de la « liberté ». Dans une Allemagne sortie de la dictature, il s’agissait de la « démocratie ». Dans la Déclaration de 9 mai 1950, cinq ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Robert Schuman précisait que « l’intégration de l’Europe est une œuvre immense et difficile », « qui exige un changement diamétral des relations des états européens », que « nous créons conjointement, à base d’une parité absolue, respect et confiance mutuelle, après la souffrance et la haine les plus grandes connues par notre génération »[2]. Lorsque la vision de Jean Monnet a produit, en 1951, « L’Union du charbon » et en 1957, « L’Union de l’acier », dans une Europe détruite de point de vue économique, il s’agissait d’apaiser la famine et assurer la subsistance. Le Projet Européen est né « d’une pédagogie de la souffrance », et non pas des calculs pour maximiser le profit.
L’expansion vers l’Est du projet de l’Union Européenne jusqu’à la dimension actuelle s’est produite à la fin d’un autre grand trauma historique, la Guerre froide, et la chute des empires communistes, comme une chance pour les pays et les peuples de l’Europe Centrale et de l’Est, de s’intégrer dans un espace de la liberté et démocratie qui dépasse les conflits historiques gelés qui n’ont pas été solutionnés pendant la dictature communiste.
En 1995, Wilfried Martens, président du Parti Populaire Européen et de l’Union Européenne Chrétienne Démocrate (1990-2013), m’a invité au lancement de son livre « Une Europe et l’autre », qui compile ses discours politiques. Dans la préface, Helmut Köhl, l’architecte de la réunification de l’Allemagne, soulignait : « ça va de soi que l’Union Européenne n’est pas l’Europe entière ».[3]
On retrouve maintenant dans l’Union Européenne des peuples qui, il y a un siècle, pendant la Révolution de 1848, ont lutté pour se libérer de la domination des empires Habsbourg, Ottoman et Tzariste et pour bâtir des états nationaux, capables de se moderniser et de joindre les états prospères de l’Occident européen. L’Union Européenne a réussi, après la chute du communisme, de générer une attraction forte vers l’Europe des pays qui étaient avant sous l’influence de l’URSS, et qui autrement auraient été proies des conflits régionaux et internes, gelés sous dictatures communistes. Les peuples de l’Europe Centrale et de Sud-Est ont prouvé une capacité de compréhension et de sacrifice insoupçonnable, aussi qu’une solidarité à envier. Est-ce que nous sommes capables d’apprendre les leçons du passé ? Si oui, le Sud-Est européen doit être valorisé avec tout ce qu’il a de mieux et de plus favorable pour constituer l’identité européen de notre continent.
L’Union Européenne, vers laquelle les énergies de ces peuples ont été orientées avec une telle force, ne peut pas être réduite à la somme des états et nations qui la forment. L’Union Européenne n’est pas une nation plus grande, elle est une vaste expérience en cours de développement, l’expérience des différences solidaires et de l’égalité en diversité. Elle reste un projet politique avec une identité distincte qui, à partir de la diversité créatrice de conflits pendant la période des états nationaux, elle a accepté et promu le développement des identités nationales, linguistiques, religieuses et culturelles.
De mon expérience en tant que géologue chercheur des grandes surfaces pétrographiques naturelles, j’ai appris qu’un système soumis à une pression forte orientée (stress) résiste mieux s’il est élastique et non pas rigide. En même temps, on ne peut pas oublier que la réussite de tout projet est reliée à l’existence des ressources. Conçu comme une unité en diversité, le projet de l’Union Européenne est un projet cher. Sa mise en œuvre n’aurait pas été possible sans l’aide financier et militaire des États Unis. Dans l’actuelle crise mondiale, un tel système harmonique peut être adopté aussi par un partenariat élargi l’Union Européenne et les États Unis d’Amérique. L’Europe peut offrir des possibilités de transfert des pressions, comme dans le cas du binôme dollar-euro, ou la possibilité d’une approche alternative au moment des crises politiques régionales ou globales.
Telles constructions peuvent être suffisantes pour traiter la crise à court terme, mais inefficaces à long terme, si l’Europe et les États Unis d’Amérique ne trouvent pas les ressources intellectuelles nécessaires pour concevoir un nouveau modèle culturel pour le monde de l’avenir. Construire des stratégies à base des politiques actuelles et la vision de l’avenir à partir de ces stratégies à long terme, bien que durables, signifie avancer vers l’avenir avec le dos.[4] Par ailleurs, si on part d’une vision sur l’avenir inspirée par le présent, on peut avancer vers l’avenir en le regardant, en observant à l’avance les obstacles et les dangers.
Je pense qu’il faut aller plus loin de la transition du « choc des civilisations » au « dialogue des civilisations ». Une « culture de la reconnaissance » s’impose, ce qui signifie plus qu’un dialogue des cultures mais un dialogue intérieur et une thérapie spirituelle par la reconnaissance de la valeur de l’autre et de ses propres limites.
Cees Nooteboom avouait en 1993 : « Si je suis Européen – et j’espère qu’après soixante ans de travail dur, j’ai réussi à l’être finalement – ça signifie, sans doute, que l’identité multiculturelle européenne influence profondément mon identité hollandaise »[5]. C’est une idée que j’adopte car l’identité roumaine, à laquelle j’appartiens, est aussi marquée par la diversité et l’identité européenne.[6] Mais, l’identité hollandaise n’a jamais été contestée en tant qu’identité européenne, tandis que l’identité roumaine oui. Pour trois raisons au moins, qui ont à voir avec l’histoire. D’abord, l’appartenance des roumains à l’espace de l’est de l’Europe, en général, et à l’orthodoxie, en spécial. En deuxième place, la subordination politique des Pays roumains à l’Empire Ottoman, qui est mentionnée comme une soumission totale au pouvoir de la Grande Turquie, ce qui est faux, car on ignore l’Independence culturelle et religieuse des Roumains par rapport à l’Empire Ottoman. En troisième place, la subordination de la Roumanie à l’Empire Soviétique, après la Deuxième Guerre mondiale, a renforcé le départ imaginé de l’Europe, devenue « Paradis Perdu » de toutes les nations soumises. Ce sont les raisons pour lesquelles je me sens engagé à clarifier l’identité européenne des Roumains.
L’identité européenne, construite minutieusement, repose sur la mémoire du même passé sur lequel l’Europe repose. Je me sens européen parce que je me suis formé selon une modernité sculptée par le tchèque Kafka, l’irlandais Joyce et le français Proust, aussi que par les Roumains Brancusi, Ionesco et Tristan Tzara. Si on fait aujourd’hui le bilan de notre contenu mental – opinions, standards, désirs, hypothèses –, comme Ortega y Gasset le proposait, on trouve que la plupart de ce contenu « pour les Français ça ne provient pas de la France, pour les Allemands ça ne provient pas d’Allemagne, pour les Anglais ça ne provient pas d’Angleterre ou pour les Espagnoles ça ne provient pas de l’Espagne mais du notre fond européen commun »[7].
En ce qui concerne les Roumains, on peut dire qu’ils ont marqué fortement l’identité culturelle européenne à la moitié du dix-neuvième siècle, par Brancusi, Ionesco, Tristan Tzara, Eliade, Cioran, Lupasco, Enescu. Pas parce qu’ils ont promu dans l’Ouest le spécifique roumain qu’ils avaient d’ailleurs intégré profondément dans leur personnalité, mais parce qu’ils ont contribué à l’apparition du modernisme dans la littérature, la philosophie, l’art et la musique européennes et mondiales, à un moment où la culture européenne semblait ossifiée. Leur leçon est qu’on peut promouvoir l’identité nationale si on est profondément européen et universel.
À un moment de crise économique et politique où les masses de citoyens ont montré plusieurs fois leur maturité et leur ouverture démocratique, je retrouve dans leur passé la peur d’une autre Partie, qu’ils protègent contre le présent. Il serait le moment d’approfondir la dialectique de l’identité et de la différence, si on veut protéger et développer le concept même d’Europe.
L’intégration européenne n’évoluera plus, si on ne prend pas en considération la tension inévitable entre les identités qui la forment, pas pour les diluer, mais pour apprendre du passé comment les protéger et orienter leurs énergies vers l’avenir.
Si on pense aux membres de l’Union Européenne intégrés après 2000, on peut demander quelle est « la valeur ajoutée » apportée par eux et quelle est « la valeur ajoutée » reçue. Si on utilise les termes consacrés du débat contemporaine, on peut demander comment la « marque de pays » se modifie pour chaque membre de l’Union Européenne et quelle pourrait être « la marque de l’Europe » dans un monde globalisé. Maintes fois nous adoptons « le langage conforme » de la bureaucratie européenne, un langage techniciste et « politically correct », qui maquille les réalités énervantes, sans solutionner les problèmes réels. Cette approche ne peut pas aider à gérer les graves défis du monde de demain, avec des sociétés traumatisées par l’obsession des risques que l’intégration européenne et la mondialisation impliquent. Les sociétés où les dirigeants ne sont pas capables d’expliquer la mission des projets historiques et le rapport entre le profit et les coûts seront traumatisées.
La capacité des citoyens de soutenir les projets importants ne doit pas être sous-estimée. Même si l’Union Européenne est le plus important projet historique du vingtième siècle et unique dans l’histoire de l’humanité, elle n’a jamais su donner aux citoyens la place qu’ils souhaitaient avoir. Bien des citoyens, surtout les jeunes, doutent l’Europe et ils ne connaissent pas la manière de laquelle elle a été créé et son rythme de développement. Le désir de concilier les aspirations, les préjugés, avec cet immense projet européen, devrait prendre en considération la confrontation avec des aspects concrets, intellectuels et pratiques, car souvent, derrière les idées préconçues, il y a des questions réelles, des problèmes réels qui attendent la réponse des dirigeants actuels et futurs. On peut espérer de dépasser le passé sans l’oublier, d’élargir notre horizon linguistique et culturel sans abandonner notre propre langue, de dépasser les espaces géopolitiques, sans perdre notre curiosité et fierté légitime.
L’avenir de la politique étrangère de l’Union Européenne
La politique étrangère est un domaine sophistiqué, connecté à la grande politique et aux petits intérêts des pays-membres de l’Union Européenne.
Malgré les ambiguïtés des dernières deux décennies, des nouveaux concepts, des nouvelles institutions, opportunités sont en train d’apparaitre, une vraie identité européenne. Une nouvelle vision de la sécurité européenne et internationale peut ouvrir le chemin vers une politique étrangère européenne commune. Il faudrait quand même discuter d’abord le concept d’une politique étrangère européenne commune. Est-elle nécessaire ? Est-elle bonne ? Est-il possible d’imaginer qu’une seule voix et un ensemble unique de décisions peuvent et doivent remplacer des siècles de positions différentes, même des opinions divergentes concernant les enjeux étrangers, disons, de l’Allemagne et de la France, ou d’Italie et de la Suède, n’en parlons plus de la Pologne et de l’Autriche, ou de la Hongrie et de la Roumanie ?
Ma réponse est en principe affirmative. L’Union Européenne est un organisme politique unique, qui peut donner une réponse politique unique au fait inévitable d’une sécurité européenne indivisible. L’Union Européenne n’a jamais été une simple coalition des états nation, et elle ne sera pas, dans un futur prévisible, un super état en soi.
La fin de la Guerre froide a emmené l’illusion que la sécurité de l’Europe de l’Ouest ne se confronte plus avec des menaces. Même si jamais exprimée, et justement parce que jamais exprimée, cette idée apaisante et fausse a été la base de maintes décisions et attitudes, européenne et américaines. Dans les années ’90, la crise des Balkans de l’Ouest a dramatiquement mis en doute cette hypothèse, et a montré le contraire, qu’après la chute du Mur de Berlin, l’Europe entière est mise en danger lorsque l’un de ses pays se confronte avec un risque. La politique étrangère et de sécurité commune (PESC) a eu des résultats positifs à l’intérieur de l’Union Européenne pour solutionner le problème cypriote en 1995, le conflit entre la Grande Bretagne et l’Espagne sur le Gibraltar, l’amélioration des relations entre l’Irlande de Nord et la République Irlandaise en 1998 et sur le plan étranger, par le Partenariat de l’Est et l’Union pour la Méditerranée. Mais tout ça c’est peu.
L’apparition d’une nouvelle ordre mondiale post-communiste et le terrorisme international ont déterminé les pays de l’Union Européenne de faire des efforts pour parler dans une seule voix sur les problèmes mondiaux et a montré que nous échouerons si nous continuons à agir séparément en tant que nations indépendantes, tandis que le Traité de Lisbonne nous offre les moyens de ne pas faire ça,
En tant qu’organisme constitutionnel à structure complexe, l’Union Européenne est une construction unique dans le monde d’aujourd’hui et toute neuve dans l’histoire du monde. Unique doit être aussi la manière de faire politique. Originelle doit être aussi sa diplomatie. Dans un monde dominé par des blocs, la chance de l’Union Européenne est sa capacité imaginative d’être différente, mais pas moins fonctionnelle.
En ce qui concerne sa vision géopolitique et stratégique, est-ce qu’on doit s’attendre au développement de plusieurs stratégies complémentaires ou à une lutte explosive de conceptions contradictoires ? À une stratégie limitée, vers l’Ouest, ou à une stratégie vaste ?
La chute de l’Europe communiste a été une victoire du concept de sécurité transatlantique. Après 30 ans, on peut se demander si elle a généré seulement des nouvelles formes de solidarité ou, d’une manière presque irrationnelle, a promu aussi la première rupture réelle entre le continent américain et l’Europe ? Pendant la période Bush jr., les États Unis ont conçu, pour la première fois après la Deuxième Guerre mondiale, un concept de sécurité complètement autonome. Cela a été nié, au moins de point de vue théorique, par l’administration d’Obama, et il s’est manifesté davantage pendant l’administration de Trump. Dans la politique américaine la tendance n’a pas disparu et probablement, même si atténuée, elle ne disparaîtra pendant l’administration d Biden, parce qu’en effet, ce n’est pas normal que la sécurité européenne soit supportée essentiellement par les États Unis. Ça veut dire que la sécurité de notre continent continuera-t-elle d’être transatlantique, ou faut-il imaginer une identité de défense européenne très différente de ce que nous avons à présent ?
L’Union Européenne a une gamme complète d’outils économiques, juridiques, diplomatiques et militaires, qui lui permettent d’agir de manière efficace au niveau mondial. Est-ce que ça suffit pour pouvoir dire que l’Union Européenne est un acteur clé dans les problèmes internationaux, du réchauffement climatique au conflit du Moyen Orient – comme le dit un document émis par Brussels ? Sur le site web de l’UE, la politique étrangère commune de l’Union est considérée Diplomatie décisive. Selon les dictionnaires, décisif signifie avoir le pouvoir de déterminer un résultat ou d’être concluant ; les antonymes sont non-concluant, indécis. Apparemment, la politique étrangère de l’Union Européenne a acquis une capacité de réaction importante, et elle en a les moyens, mais pour l’instant, il lui manque la vision d’un rôle international spécifique, européen.
C’est normal ça. L’Union Européenne n’est pas qu’un marché commun, c’est une innovation à risque élevé et un expérimente politique, et par conséquent, une manière de se réinventer à chaque pas. Siècles de concurrence entre les nations doivent être dépassés par une réalité différente, de coopération cordiale et confiance mutuelle sincère. Ce n’est pas facile parce que ça implique une évolution lente, et un changement de paradigme, en trois directions. D’abord, l’Union Européenne doit renoncer à la règle du jeu à somme nulle et adopter le comportement très différent du jeu gagnant-gagnant. Deux, l’Union Européenne doit adopter un nouveau concept stratégique, adapté aux réalités géostratégiques contemporaines. Trois, l’Union Européenne doit passer des décisions bureaucratiques à un mécanisme vraiment démocratique pour concevoir ses politiques, étrangère et de sécurité. La crise actuelle n’est pas seulement un trou noir économique et financière, mais aussi une opportunité de changer les paradigmes d’une manière radicale. L’Europe ne peut pas rencontrer son avenir sans changer les paradigmes, à l’intérieur et dans ses relations avec le monde.
Pour former une vision propre sur la politique internationale, on doit comprendre la manière de penser de deux acteurs actuels, les États Unis et la Chine.
En ce qui concerne la stratégie géopolitique américaine à la fin du vingtième siècle, une source d’inspiration semble avoir été le jeu d’échecs. En mars 1998, lors d’une visite à Washington, Zbigniew Brzezinski m’a donné son livre « The Grand Chessboard – Américain Primacy and its Geostrategique Imperatives », avec une dédicace qui m’encourageait dans mes efforts d’intégrer la Roumanie dans l’Union Européenne et l’OTAN. Le livre de l’ancien conseiller présidentiel de sécurité nationale de Jimmy Carter (1977-1980), professeur à John Hopkins University à Washington, est une vision géostratégique incitante sur l’avenir des États Unis en tant que superpouvoir du vingtième siècle. Brzezinski essaie de répondre à la question : pourquoi les États Unis sont (étaient en 1997) non seulement le seul vrai superpouvoir mondial, mais aussi le dernier superpouvoir, et quelles sont les implications pour « l’héritage » du superpouvoir des États-Unis ? Dans le chapitre « Table d’échecs de l’Eurasie », il écrit que l’Eurasie est la table d’échecs sur laquelle aura lieu la lutte pour la suprématie mondiale. Même si la gestion des intérêts géopolitiques peut être comparée avec le jeu d’échecs et l’Eurasie ressemble à une table d’échecs, ce jeu n’est pas seulement entre deux joueurs, mais entre plusieurs, chacun avec des différentes proportions de pouvoir. Les joueurs-clé sont à l’ouest, à l’est, au centre et au sud, les extrémités de l’ouest et de l’est sont représentées par des régions avec des populations denses, organisées dans des espaces relativement congestionnés avec plusieurs états forts. En prenant en considération que les six états avec des économies importantes, pouvoirs militaires et nucléaires après les États Unis, et les deux états avec les plus grandes populations sont aussi en Eurasie, Brzezinski observe que l’Eurasie est trop grande pour être unitaire de point de vue politique - heureusement pour les États-Unis ! Brzezinski observe aussi que les États Unis sont trop démocratiques chez eux pour être autocratiques chez les autres, ce qui limite leur capacité d’intimidation militaire ; l’arsenal nucléaire a réduit l’utilité de la guerre en tant qu’outil politique, et l’interdépendance économique a rendu le chantage économique inefficace. Dans ces conditions, l’objectif de la politique américaine devrait être, selon Brzezinski, bénigne et visionnaire : construire une vraie communauté mondiale coopérative en accord avec les intérêts fondamentaux de l’humanité, mais, en même temps, veiller qu’aucun challenger émergent ne domine pas l’Eurasie. Une géostratégie eurasiatique compréhensive et intégrée est le message de son livre dédié à ses étudiants, pour les aider à donner une forme meilleure au monde de demain. En ce qui concerne la Chine, Brzezinski croit que, si on la voit comme une menace, on ne fait que parler d’une auto prophétie accomplie.[8]
Si Brzezinski voyait comme ça, en 1997, la perspective du jeu des États Unis sur la table d’échecs de l’Eurasie, comment voient les chinois, deux décennies plus tard, leur stratégie géopolitique dans un monde globalisé ?
Selon moi, pour la comprendre, il faut comprendre le jeu de GO[9], jeu de stratégie combinatoire, de plus de 2 500 ans, qui a son origine en Chine, nommé par les chinois weigi圍棋 et par les japonais igo囲碁, ce qui signifie entourer.[10] Dans la Chine ancienne, il a été considéré l’une des quatre arts essentiels (à côté de la peinture, musique et calligraphie) pour la culture des empereurs et des sages chinois. Le jeu utilise une réserve illimitée de pièces, l’objectif étant de délimiter avec ses pièces un grand nombre de points. Les pièces se mettent aux intersections des lignes de la grille ; ces intersections s’appellent libertés. En principe, c’est un jeu de liberté de mouvement. Si un groupe de pièces perdent leurs libertés, il est capturé. Chaque mouvement propre qui annule la dernière liberté d’un groupe de pièces se considère suicide et il est interdit. Si les deux joueurs passent leur tour, le jeu fini. Un joueur admet qu’il est vaincu lorsqu’il perd un grand groupe de pièces entourées par l’adversaire. Dans les termes de la théorie des jeux combinatoires, GO est un jeu de somme zéro qui nécessite une information parfaite et une stratégie déterministique. Il montre le rôle de l’équilibre aux niveaux multiples, comme les tensions internes. Ce qui m’a semblé très intéressant c’est le système de handicap qui compense la différence de force entre les joueurs avec des niveaux différents d’expertise, en créant aussi les conditions qu’ils se rencontrent, conditions presque inexistantes dans les compétitions officielles d’échecs.
Au GO, le joueur de niveau inférieur reçoit plusieurs pierres (jetons), proportionnellement avec la différence entre son niveau et celui de l’adversaire, et il peut occuper des positions avantageuses sur la table de jeu. Il reçoit aussi le droit de commencer le jeu et ainsi il peut mettre en pratique sa propre stratégie. On s’attend qu’elle soit inférieure à la stratégie de son adversaire, qui est mieux apprécié, mais les avantages du système de handicap permettent une confrontation équilibrée et une vérification effective des deux approches théoriques. Ainsi, le joueur moins fort apprend par contact direct les philosophies de jeu nettement supérieures. De l’autre côté, le joueur plus fort a aussi la possibilité d’améliorer son jeu, car il entre en contact avec des tactiques et de idées nouvelles qu’il n’aurait pas pu connaitre autrement, et il évite la routine d’un jeu répétitif.
Comme William Pinkard a observé, si le jeu d’échecs avec ses lignes de soldats qui marchent pour capturer les soldats ennemis représente l’image du conflit « HOMME– contre –l’HOMME », le jeu de GO peut être vu comme une modalité incitante d’auto amélioration « HOMME– contre – SOI-MÊME »[11] [12].
En mai 2015, j’ai eu l’occasion de rencontrer le président de l’Institut d’Études Internationales de Shanghai, Chen Dongxiao. Après la fin des discutions, j’ai reçu un livre, « China and G20 », publié par la Fondation allemande Friedrich Ebert et une revue de l’Institut[13], dédiée aux directions principales de la stratégie de politique étrangère de la Chine. Un article de cette revue, avec un titre incitant, « Est-ce que la Chine essaie d’éliminer les États Unis de l’Asie de l’Est ? », Wang Dong, professeur à l’Université de Pékin et directeur de l’Institut Chine – Les États Unis d’Amérique[14], réfute le discours de certains commentateurs occidentaux concernant les intentions de la Chine d’éliminer les États Unis de l’Asie de l’Est qui utilise les principes de la « Doctrine Monroe » (avec laquelle les américains ont justifié leur hégémonie dans leur zone d’influence). Il affirme que, pour un futur développement de l’Asie de l’Est, les États Unis, en tant que pouvoir accrédité, et la Chine en tant que pouvoir émergeant, devraient s’accepter mutuellement, négocier et renégocier les limites de leur pouvoir relative et leur rôle dans le futur ordre régionale, où Pékin et Washington apprendraient à partager leurs responsabilités et leur leadership.
Si on regarde le « goban » de l’Eurasie, et aussi le « goban » mondial, on observe la manière de laquelle les chinois se comportent dans les agglomérations humaines qu’ils forment dans d’autres pays. Ils migrent et ils s’infiltrent dans des pays gouvernés par des croyances, idéologies et cultures différentes, mais les chinois ont gardé leur identité depuis un siècle et ils ne se laissent pas assimilés, ils construisent des communautés compactes comme les colonies des abeilles ou des termites, à une organisation stricte et des hiérarchies internes. En conservant leur liberté de mouvement, ils n’ont pas essayé de changer l’ordre des choses dans les pays d’accueil et de les déstructurer, mais ils ont gardé un équilibre convenable à tout le monde.[15]
On peut également observer que dans son expansion globalisée[16], la Chine ne se propose pas de disséminer le communisme, l’économie de commande de chez eux, les religions confucianistes-bouddhistes, ou la langue chinoise, mais ils préfèrent, au moins jusqu’à présent, une intégration économique entre les états, le plus profitable possible[17], parce que, comme Deng Xiaoping disait, « peu importe si un chat est blanc ou noir, l’important c’est qu’il attrape les souris ». [18]
Au-delà de tout, on doit regarder les problèmes classiques de sécurité comme un cas particulier, par rapport aux perspectives « non-euclidiennes » de sécurité inaugurée au début de l’ère de lutte anti-terroriste. Telles stratégies non-orthodoxes demandent des nouvelles modalités d’évaluation et un nouveau type de ressources humaines impliquées dans ce processus. Les commissionnaires ou les procureurs sont meilleurs que les généraux de ce point de vue, et les forces de police et les méthodes de la police peuvent être plus utiles que les stratégies militaires. Saga Wikileaks a prouvé que les hackers peuvent représenter une « valeur » ou une « peste ». Je crois qu’il faut s’imaginer une division du travail dans ces domaines de risques non-traditionnels, entre les militaires et les civils, aussi qu’entre les États Unis et leurs alliés européens. Au lieu de répliquer les modèles militaires à l’échelle de chaque pays, il serait utile de penser une composante complémentaire de l’intégration. Elle a été réalisée dans le domaine des renseignements. Pourquoi pas dans d’autres domaines, un concept de sécurité compréhensif ? Cette nouvelle géométrie non-euclidienne de sécurité européenne doit assurer un meilleur control des portes européennes, ce qui implique le besoin de consolider le côté du nord, aussi que le côté du sud du système.
Je n’essaie pas de vous vendre une nouvelle utopie. En tant que scientifique dédié à la recherche, je suis habitué à une critique forte. En tant qu’ancien chef d’état, je me suis confronté souvent avec des tensions, avec un potentiel de conflit comme effet secondaire ou, pire, pervers, du processus d’intégration. On peut contrôler tels effets pervers, mais on ne peut pas contrôler la défaite du processus de la politique étrangère de l’Union Européenne. Une Union Européenne élargie, ancrée fortement dans l’alliance transatlantique, peut être une solution durable pour la sécurité de l’Europe et plus que ça, elle peut générer un progrès majeur dans l’économie et civilisation. Par sa richesse en ressources matérielles, connaissances et techniques, et par sa richesse extraordinaire en ressources humaine aux études supérieures, cette Europe de l’avenir proche a un énorme potentiel de croissance.
Ça signifie qu’on doit repenser les bases de l’économie mondiale et du monde dans son ensemble. Je veux dire que la globalité, dans le sens d’interrelation, inter-change et diversité du monde, doit prévaloir sur la mondialisation, dans le sens d’uniformité et domination d’un modèle sur les autres, couplé avec le manque des idées. L’Europe a une multitude de langues, traditions et cultures auxquelles elle ne peut pas nier l’essentiel, en effaçant cette richesse au nom d’une soi-disant civilisation mondialisée. Même dans le creuset immense des États Unis, les traditions provenant de la diversité culturelle justifient leur propre spécifique. L’Europe n’est pas un creuset et il serait absurde de l’imiter maintenant. Au contraire, l’Europe peut réussir à transformer le chemin vers l’avenir dans un chemin vers la créativité et culture. Culture, pas comme opposée à la civilisation, mais en tant que dimension intérieure, plus profonde, d’une civilisation commune moderne vraiment démocratique.
La base de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union Européenne reste le pouvoir soft : la diplomatie, soutenue lorsqu’il est nécessaire par le commerce, aide et le maintien de la paix, pour solutionner les conflits et réaliser l’entente internationale. La diplomatie culturelle, clamée dans les interventions officielles de l’Union Européenne, n’a pas été soutenue par une analyse sérieuse des mentalités des communautés nationales et ethniques. L’une des conséquences récentes a été le fait qu’elle n’a pas anticipé le Printemps arabe et ses conséquences, parce qu’après 1990, l’histoire des révolutions anticommunistes de l’ancien espace dominé par l’Union Soviétique et les caractéristiques de la transition vers la démocratie dans le Balkans, Caucase, et ensuite Irak ont été abordés superficiellement. C’est la conséquence du fait que les décideurs se sont concentrés sur les problèmes politiques-militaires et ils ont négligé les processus difficiles de transformation des mentalités provenant d’une ancienne histoire culturelle. La diplomatie culturelle ne peut plus être regardée comme outil exclusif de promotion des intérêts de la politique étrangère, mais comme base de promotion de la coopération internationale et des partenariats dans un fond commun avec des acteurs divers et indépendants, non-étatiques. La diplomatie culturelle, par conséquent, implique une double action, destinée à créer une présence culturelle, et à assurer la manière de laquelle l’autre personne ou nation reconnait et accepte cette présence, pour réaliser une compréhension qui transcende les images stéréotypes.
Frontières politiques et culturelles de l’Europe
À un moment où les discussions sur l’Union Européenne deviennent dérisoires, c’est la tâche du milieu académique d’analyser l’évolution de la structure des civilisations de l’Europe unie, en fonction de l’interconnexion des modèles territoriaux (méditerranéen, pontique, baltique, continental) ; des structures confessionnelles (catholique, protestante, orthodoxe), et des espaces linguistiques (latin, anglo-saxon, slave). Leur synthèse exprime des différences, mais aussi des affinités étonnantes. [19]
Sans orgueil et sans regarder d’en haut les autres cultures, l’Europe doit identifier les racines communes, comme les grandes civilisations orientales le font pour leur propre espace culturel. Les grecs ont inventé la politique et la démocratie, les romans ont systématisé les lois et les institutions de l’état, finalisés dans le Code de Justinien, et le judéo-christianisme a créé une solidarité idéologique et culturelle millénaire. Sur ces bases reposent l’identité européenne d’aujourd’hui et une partie importante de la culture et civilisation universelles. Recentrer l’intérêt sur le Levant, berceau des sciences, diversité culturelle et croyances européennes, facilité par l’intégration des Balkans et de l’Est de l’Europe, peut consolider le fondement culturel identitaire dans le monde du vingtième siècle et peut remodeler et équilibrer l’homme contemporain dans une nouvelle étape de l’histoire dominée par mondialisation. [20]
Lorsqu’il parlait du début du projet d’unification économique, politique et militaire de l’Europe, le philosophe allemand Husserl écrivait il y a plus de 50 ans : « On voit ici le point de départ d’un nouveau type de communauté, qui transcende les nations. Je pense à cette entité spirituelle qu’on appelle Europe. Il ne s’agit pas seulement d’une juxtaposition des nations différentes, qui s’influencent par filiation, commerce ou le champ de bataille. Il s’agit d’un nouvel esprit, né de la philosophie et des sciences qui dépendent de la critique libre, qui mettent en rapport les choses avec une échelle infinie, règne sur l’humanité et créé de nouveaux idéaux infinis ». Loin d’être laudator temporis acti, Husserl formule le corolaire visionnaire de sa thèse : « La crise de l’existence de l’Europe a deux possibilités seulement : soit l’Europe disparait, car elle devient de plus en plus éloignée de son propre sens rationnel, qui est son sens vital, et elle tombera dans l’esprit de haine et barbarie, soit l’Europe va renaitre par l’esprit de la philosophie, grâce à l’héroïsme de la ration »[21].
L’homme nourrit le sentiment d’identité de faits objectifs, comme la famille ou le métier, aussi que des faits subjectifs, comme les valeurs et les idéologies et cette identité fait la différence. Le binôme identité/altérité s’inscrit dans le temps et dans l’espace. Nous sommes définis par une pluralité de territoires marqués par nos activités pratiques et de repos, qui dessinent, comme une carte, notre itinéraire quotidien, et par un espace social, où se tissent les rapports et se créent les réseaux d’échanges, d’association, commerciaux ou politiques. Et finalement, un espace créé de souvenirs et espoirs, un espace imaginé et rêvé. Dans la mesure laquelle ces territoires et leur moments historiques coïncident, et se définissent aussi par rapport à l’altérité, l’autrui, le voisinage.
Par conséquent, il est clair que l’identité se construit par un jeu constant des ressemblances et des différences, elle un processus dynamique, infini, incomplet, ouvert, jamais fini. Par une série d’opérations d’identification, chaque acteur de la société participe à la construction de ce que nous comprenons par « nous » et « être ensemble ». Si on accepte la définition de l’identité comme œuvre ouverte, on peut comprendre mieux son sens profond. Le slogan de l’Union Européenne, Unis en diversité, repose sur le paradigme de l’unité. Quoique, dans l’histoire européenne, l’état nation reste l’expression du modèle d’unité, tandis que l’Europe assume traditionnellement la diversité comme identité. L’unité qu’on attend de l’Union semble souvent se heurter contre la diversité de ceux qui la composent.
Dans un texte souvent oublié, Regard de loin[22], Claude Levi-Strauss écrit : « Les cultures ont le droit de se protéger les unes contre les autres, leur mélange peut parfois mener à la disparition de tout le monde... Car on ne peut pas, en même temps, partager les joies de l’autre et nous identifier avec lui, et continuer d’être différents. Pour une réussite totale, la communication intégrale avec l’autre condamne, à long terme ou à court terme, l’originalité de sa création ou de ma création ».
Pour dépasser ces contradictions, on a eu besoin de temps. Il existe un moment historique des synthèses de cultures et civilisations que Goethe n’a pas vu comme propice à son époque. Dans la tragédie que j’ai évoquée au début de cet essai, rappelons-nous qu’Euphorion, le fils né de l’union de Faust, symbole provenant de la mythologie chrétienne nord-européenne médiévale, avec Hélène, symbole de la beauté de la mythologie grecque antique méditerranée, tombe et meurt lorsqu’il essaie, courageusement, d’escalader les hauteurs pour lesquelles il n’était pas préparé.
Pour « l’identité européenne », il existe « trop tôt », mais aussi « trop tard ». C’est une question qu’il faut poser avant de nous assumer une « identité mondiale » sans consolider l’identité européenne.
Où sont les limites de l’identité culturelle européenne, vue comme entière par rapport aux autres identités culturelles dans le monde contemporain mondialisé ? Jusqu’à où s’étend l’Europe spirituelle ? Ces limites ne coïncident pas avec celles de l’Europe politique, économique ou militaire, construite à base des principes et des intérêts différents et, selon moi, ne coïncideront pas dans l’avenir plus proche ou plus éloigné.
Si on analyse le projet d’expansion politique de Pierre le Grand et de Lénine, on observe que, pour pousser les frontières politiques et militaires vers l’ouest, Pierre le Grand a modifié les frontières de la civilisation occidentale vers l’est, sur le territoire de la Russie, en générant une forte effervescente culturelle. Pour pousser les frontières politiques et militaires jusqu’au cœur de l’Europe centrale et peut-être vers le monde, Lénine a modifié le marxisme de l’Europe de l’ouest, en transformant la Russie soviétique son centre idéologique.
Trois siècles après le projet de Pierre le Grand et presqu’un siècle depuis le projet de Lénine, on peut dire que les frontières politiques et militaires ont été plus fragiles que les frontières culturelles. De ce rapport inattendu, la construction européenne a gardé un dilemme qu’elle évite d’aborder d’une manière tranchante. D’un côté, l’impossibilité de l’intégration politique de la Russie parce que l’Union Européenne perdrait son identité politique, et de l’autre côté, l’impossibilité de séparer l’espace culturel russe de l’espace culturel européen, pour ne pas affecter l’identité culturelle européenne. Ça fait peur de s’imaginer la littérature européenne sans Tolstoï, Dostoïevski, Tchékhov, Pasternak, Boulgakov, Soljenitsyne, la musique sans Glinka, Tchaïkovski, Rachmaninov, Chostakovitch, Prokofiev, l’art sans Repin, Aivazovsky, Kandinsky, Chagall, piliers de l’identité culturelle européenne.
Voilà pourquoi je crois que l’Europe de l’avenir évoluera comme un système complexe, à géométrie variable, où l’Union politique, celle économique et celle spirituelle peuvent se soutenir mutuellement, sans se superposer en tant que forme et sans se confondre dans leur contenu.
Défis du multiculturalisme à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union Européenne
Le multiculturalisme peut représenter un dernier bouclier contre la déviation de la mondialisation vers standardisation et assimilations culturelle. Surtout par les médias, productions audio-visuelles et une modalité plus perfide des réseaux digitale d’information, un système d’induire les préférences et les conduites a été créé, ce qui mène à la standardisation des comportements jusqu’au plus intime niveau de la vie privée.
À présent, le monde semble dominé par une culture de masse de dimensions planétaires, qui a la tendance de consolider la suprématie de la communication audio-visuelle jusqu’à l’élimination du mot écrit. C’est justement ce type de mondialisation la raison qui doit déterminer un autre type d’engagement, sinon, il existe le risque, finalement, de croire qu’il faut tous parler la même langue, porter les mêmes vêtements, dire que l’héritage culturelle de l’humanité n’est pas utile, que l’action et l’argent c’est ce qui compte, et qu’il ne faut pas prendre le temps de penser ou réfléchir. La tendance d’ignorer les valeurs traditionnelles et modernes, aussi que la promotion de contre-modèles va former des gens de même type, au risque de dévaluer l’homme même.
Retour à la tradition, perpétuelle redécouverte de l’essentiel profond des anciens peuples, comme les peuples européens et la reconnaissance et l’affirmation de l’autonomie de l’individu sont les points essentiels de notre évolution dans l’avenir. Le problème de cette double condition est la clé pour que le multiculturalisme soit une réussite. La re-articulation de l’Europe dans ses traditions culturelles prouvera que le passé peut être valorisé avec succès, et que la tradition et la modernité peuvent travailler conjointement dans une relation positive.
La plus remarquable preuve des valences positives du multiculturalisme, bien gérée de point de vue politique, est offerte par le processus de construction européenne, qui a essayé de valoriser les bonnes leçons de l’histoire et d’apprendre des drames et des souffrances de l’Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale, drame déterminé, en grande partie, par l’affirmation de la prééminence de race et ethnicité. Les européens ont compris qu’ils doivent offrir aux nations un autre repère unifiant et une autre dimension, qui permette aux gens d’agir en tant que vrais citoyens, qui croient dans l’idéal politique des droits de l’homme et des libertés démocratiques garanties par la loi.
Le multiculturalisme de l’Union n’est pas un mécanisme d’annihilation des identités nationales, mais un dernier bouclier de l’humanité devant la déviation de la mondialisation vers la standardisation et l’assimilation culturelle. Dans une société qui repose sur consommation et compétition, on a besoin de valoriser les traditions culturelles, pour que la tradition et la modernité travaillent conjointement dans une relation positive. Le vrai bénéficiaire du projet européen n’est pas représenté par les états membres, mais par l’individu, le dernier et le plus précieux récepteur des politiques européennes.
Dans une Europe sans centres et sans périphéries, une nouvelle approche du patrimoine européen devrait essayer de construire un système de connaissance et défense qui ne tient pas compte des hiérarchies de pouvoir et des préférences traditionnelles. On pourrait découvrir non seulement le patrimoine des petits pays, ce qu’on appelle à présent, de point de vue culturel, la deuxième Europe, mais aussi découvrir de grandes valeurs culturelles locales, moins connues dans leur propre pays, la troisième Europe, donc.
Je suis persuadé que la dimension culturelle, plus précisément, les modèles multiculturels représenteront les vrais fondements capables d’assurer à l’Europe la position de leader dans la confrontation avec les défis de l’avenir. En fait, le succès de l’Union Européenne dans la compétition politique du troisième millenium dépendra en grande partie de sa capacité de se restructurer et s’élargir par inclusion de plusieurs cultures et expérience dont le sujet historique est les peuples de l’Europe Centrale et de Sud-Est. Je pense également aux vieilles traditions culturelles de cette région, la tradition centrale-européenne et slave-byzantine, et les récentes expériences de résistance contre le totalitarisme, aux aspirations spirituelles des gens forcés de vivre dans des sociétés fermées, éloignés du reste du monde est presque oubliés par l’autre monde.
Le multiculturalisme n’est pas dépourvu de dangers qui, en fait, tombent dans une logique pareille, même si dans des termes contraires, à la logique qui généré les déviations de la mondialisation. Le premier et le plus grave danger est d’être ancré exclusivement dans la vie et aux valeurs d’une communauté sans prendre en considération les autres communautés, en ignorant le rôle de l’état de droit d’assurer la cohérence et l’unité de la société. De cette auto-isolation, arrogante et défiante, jusqu’à l’affirmation brutale et agressive des droits autonomes des groupes minoritaires n’est qu’un pas, extrêmement dangereux, y compris par le risque de perpétuer des conflits d’une génération à l’autre.
Le multiculturalisme peut et doit être vécu comme respect pour la diversité, comme acceptation du pluralisme dans les traditions identitaires, comme solidarité gouvernée par le respect permanent des lois nationales et européennes dédiées aux droits de l’homme et à la liberté de chacun.
Je suis persuadé que le vrai sujet qui aurait dû bénéficier de ce multiculturalisme n’est pas le groupe ou la minorité, mais plutôt l’individu, le citoyen capable d’articuler, avec dignité, l’identité de la communauté à laquelle il appartient, avec les valeurs nationales et universelles qui nous réunissent.
Vers une Europe des citoyens
Aucun modèle ne peut plus prétendre être une solution unique. En tant qu’intellectuel européen, je suis loin de considérer l’Union Européenne un modèle unique, je la considère une source d’inspiration et une analyse critique de ce projet européen est nécessaire tout le temps.
Le Traité d’Amsterdam[23] repose sur une idée généreuse - « on unit des personnes, pas des états », énoncée comme principe de gouvernement qui s’est avéré difficile à mettre en pratique. Pourquoi ? – on peut se demander après 24 années. Une réponse vient des dernières crises économiques, politiques et plus récemment la crise sanitaire, qui ont dévoilé une rupture entre le système politique et économique mondialisé actuel et le modèle culturel qui l’a défini au début. La rupture entre l’économie réelle et celle spéculative, d’un côté, et entre l’administration bureaucratisée et les citoyens, de l’autre côté, ont affecté un élément essentiel pour la démocratie et pour l’économie de marché : la confiance des citoyens. Est-ce que l’Union Européenne peut construire un modèle seulement pour elle-même, capable à inspirer d’autres sociétés dans d’autres coins du monde, comme l’a fait pendant les derniers siècles ? Pour regagner la confiance des citoyens, il est besoin de quelque chose de plus que reprendre le dialogue social. D’un nouveau modèle culturel, parce qu’aucun nouveau projet politique ne peut pas avoir succès s’il n’est pas précédé par et fondé sur un modèle culturel qui reposent sur des valeurs morales, les seules qui peuvent créer une solidarité des énergies positives de la société.
Non seulement les démocraties antiques mais aussi les démocraties modernes ont été et sont toujours susceptibles à prendre des décisions précipitées et à substituer par des invectives une pensée plus profonde. C’est pour ça que la démocratie a besoin de citoyens qui peuvent penser et non pas d’individus qui se soumissent à l’autorité. L’éducation scientifique produit des scientifiques et des techniciens sophistiqués, mais seulement les sciences humanistes, qui semblent non productives, peuvent produire des personnes capables à maintenir vif l’esprit démocratique. Les citoyens qui cultivent les connaissances se considèreront not seulement des citoyens des régions et communautés locales, mais aussi des gens reliés aux autres êtres humains par reconnaissance et intérêts.
L’idée de citoyen du monde, kosmopolites, a deux racines convergentes, la racine antique de la philosophie gréco-romaine et la racine des religions universelles, depuis celle chrétienne. Cette idée a eu une influence formative sur les grands penseurs européens, dans la tradition de l’illuminisme philosophique, et sur les fondateurs de l’Amérique. Dans le monde d’aujourd’hui, multiculturelle et multinationale, beaucoup de nos problèmes les plus pressants exigent un dialogue. La précondition de base serait, sans désavouer les loyautés nationales, ethniques, religieuses ou professionnelles, d’être capables à reconnaître la valeur de la vie humaine, n’importe où elle se trouve.
La modernité, en consacrant le triomphe de l’individu, a été comprise comme dissolution des liens organiques à l’intérieur de la communauté. Malgré ça, je suis persuadé que, en reprenant les aspects positifs incontestable du processus de modernisation, on devra et on saura ne pas ignorer le désir naturel de l’être humain de vivre et de se développer au sein de la communauté à laquelle elle appartient, et qu’on pourra dépasser les effets d’une société qui repose de plus en plus sur la consommation excessive et concurrence acerbe, pour comprendre qu’on entrera dans la postmodernité non pas avec ce qu’on a, mais avec ce qu’on est.
Ma génération a l’habitude de se référer aux valeurs européennes en parlant de la démocratie, liberté, égalité des citoyens, en utilisant ces mots sans penser vraiment à leur essentiel. Qu’est-ce que signifie, à l’époque de la communication globale, rendre l’Europe une démocratie participative ? Soutenir une pratique des fréquentes consultations publiques, inclure dans les mécanismes institutionnels présents le referendum électronique, concevoir une administration non seulement au niveau national mais aussi européen, qui pourrait s’organiser comme une gouvernance, conformément aux nouveaux moyens de communication ?
Quel est l’avenir des innovations technique dans l’absence du développement des fondements scientifiques ? Le transfert de la technologie pourrait avoir lieu par le transfert des habilités nécessaires pour mettre en valeur ces technologies et surtout un système de valeurs qui assure une utilité adéquate ? Le développement technologique met une pression sur les ressources humaines. La découverte des talents précoces et la gestion de leur évolution devient une science qui impose dans l’éducation et dans la recherche des nouveaux domaines et un jeu et des nouveaux joueurs. Que serait-elle la citoyenneté sans la culture européenne, y compris la grande culture du passé, considérée une culture d’enrichissement, par opposition avec la culture de consommation ?
Que faire avec l’histoire ? Le rôle de l’histoire pour déterminer le spécifique européen serait d’analyser les caractéristiques communes des différentes cultures nationales, de créer des évènements fondamentaux européennes, de proposer des endroits mémoriaux communes en Europe. Pour deux siècles, le fondement de l’Europe a été la nation, les identités nationales et ce n’est pas facile de les intégrer en tant que partie de l’histoire européenne. Plus que ça, même si on y aboutit, on risque de glisser vers l’eurocentrisme, souvent dénoncé comme préjugé et même outil d’influence et domination.
On parle, avec orgueil, d’une identité européenne commune, fondée sur de valeurs partagées. Quelles sont ces valeurs qui définissent l’identité européenne ? Comment dépasser, sans oublier, les caractères spécifiques et même les limites nationales, dans notre chemin vers une identité commune ?
La réponse se trouve à l’intérieur des projets européens, et dans les anxiétés européennes. Si on continue à s’imaginer des projets sans prendre en considération les anxiétés inévitables que la construction politique d’une moitié de milliard d’habitants implique, on a peu de chances de développer une Europe forte et démocratique. Voilà pourquoi je pense que le long chemin vers une solidarité européenne qui doit commencer à l’intérieur de chaque nation, communauté locale ou même des familles où souvent on trouve bien des contradictions qu’on décrit comme typiques aux disparités entre le Nord et le Sud ou l’Ouest et l’Est du monde, mais où on peut identifier aussi le liant identitaire d’un ethos commun. Ainsi, on pourra comprendre mieux ce monde.
À la fin de 2020, le Parlement Européen a commandé un sondage pour les citoyens de l’Europe, qui a trouvé 10% plus des citoyens qui ont exprimé une opinion positive concernant l’UE pour la protection des droits de l’homme et la solidarité entre les états membres. On ne peut pas ignorer que cette croissance de 40% à 50% engage seulement la moitié de la confiance des citoyens, et la confiance des citoyens en l’Union Européenne est plus élevée que la confiance en leurs gouvernements. Dans son commentaire en février 2021, David Sassoli, président du Parlement Européen, a déclaré : « Le message de ce sondage est clair : les citoyens européens soutiennent l’Union Européenne et considèrent que l’UE est le cadre adéquate pour trouver des solutions à la crise mais la réforme de l’UE est décidément quelque chose que les citoyens veulent voir et c’est ça la raison pour laquelle on doit lancer la Conférence sur l’avenir de l’Europe le plus tôt possible. »[24]
Dans ce contexte, je crois que c’est le moment où le milieu académique et les scientifiques doivent s’engager avec résolution dans un débat sur l’avenir de l’UE. L’Institut d’Études Avancées pour la Culture et la Civilisation du Levant est prêt à accueillir un tel débat sur la plateforme « Le présent comme l’anticipation de l’avenir » et encourage une analyse capable à aborder les problèmes économiques, sociaux, culturels, éducationnels, moraux dans leur connexion, aussi que le développement d’une stratégie capable à mettre en valeur le progrès scientifique et technologique, dans une perspective étique et morale.
Je n’envisage pas l’implication directe dans la politique. Le moment 1989-1990, lorsque les élites intellectuelles de l’Europe de l’Est ont mobilisé des millions de gens qui ont mis fin aux régimes dictatoriaux et à la Guerre froide, est resté unique dans l’histoire. Dans mon opinion, le phénomène des peuples libérés qui ont choisi des recteurs d’université, des écrivains, des philosophes et des savants comme chefs d’état et de gouvernement démocrates ne peut plus se répéter dans notre siècle. Les représentants d’élite du milieu académique contemporain, même s’ils ne peuvent plus être des joueurs, sont appelés pour être des entraineurs et arbitres du jeu politique.
Une coopération bénéfique peut exister entre le milieu académique et les politiques. La politique, pour répondre aux défis des changements rapides, peut s’inspirer de la science pour s’organiser dans le respect des valeurs communes : dialogue authentique et équilibré, qui favorise l’échange des idées, le respect vers la vérité. L’espace académique peut être vu comme précurseur et modèle de coopération sans des exclus et des marginalisés. La solidarité intellectuelle peut être un fondement pour construire une nouvelle architecture politique de l’Union Européenne.
Est-ce que le milieu académique peut apprendre quelque chose des politiques ? Certainement. On peut apprendre les succès et surtout les échecs du milieu politique, devenir plus prudent en ce qui concerne la conception des projets politiques, économiques et sociaux pour lesquels il n’existe pas des études d’impact et pour qui les responsables sont des personnes de l’extérieur. De l’expérience des hommes d’état, les universitaires et les scientifiques peuvent apprendre la responsabilité pour des décisions qui concernent la vie et la liberté des millions de gens.
Ce débat m’intéresse beaucoup car j’ai assumé, en tant que professeur, militant civique et homme d’état, une partie des réponses aux questions que les citoyens de l’Europe posent à présent. Je crois à l’avenir de l’Europe et j’ai confiance en la capacité des jeunes européens de concevoir et construire l’Europe de demain.
Le concept de Weltanschauung, par lequel les philosophes allemands comprenaient que chaque époque a sa propre manière de voir et de comprendre le monde, est toujours productif aujourd’hui, surtout si on le regarde comme Gestalt der Weltanschauung, où l’ensemble est plus que la somme des parties qui le compose. Ce concept correspond le mieux avec ce que la politique dans la société de connaissance et dans le monde globalisé de l’avenir devrait être : une vision complexe sur l’avenir, qui repose sur un nouveau dialogue sur les valeurs humaines.
Ma génération a élargi l’Europe fondée par nos parents, et a fait tomber le Mur de Berlin. C’est le moment où une nouvelle génération doit reprendre et amplifier les valeurs européennes jusqu’au niveau de leur aspirations. La nouvelle génération pourrait construire un destin nouveau, pour nos pays, pour l’Europe, et pour le monde entier.
[1] Hans Peter Schwarz (ed), Konrad Adenauer, Rede 1917-1967 Eine Auswahl, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 1975.
[2] Robert Schuman, Pour l'Europe, Éditions Nagel, Paris, 1963, p 106.
[3] Wilfried Martens, O Europă și cealaltă, Éditions Metropol, Bucarest, 1995.
[4] Une critique sévère des difficultés avec lesquelles la société roumaine actuelle se confronte dans son effort de se synchroniser avec les politiques européennes et les défis de la mondialisation, dans l’absence d’une propre vision, à voir Andrei Marga, România în Europa actuală, Éditions Creator, Brașov, 2019.
[5] Cees Nooteboom, De ontvoering van Europa/Răpirea Europei, Éditions Atlas, Amsterdam, 1993.
[6] Pour une synthèse des influences de l’Occident latin et de l’Orient byzantin sur l’identité roumaine, à voir Ioan Aurel Pop, Romanians and Romania : A Brief History, New York, 1999.
[7] Ortega y Gasset, La révolte des masses, Bucarest, Éditions Humanitas, 1994, 2002, 2007.
[8] Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard – American Primacy and its Geostrategic Imperatives, Basic Books, advision of Harper Collins Publishers, Inc., New York, 1997
[9] Noguci M (2005) Jeu de go. Le langage des pierres. Règles et fondamentaux. Praxeo, 2005 (ISBN 2-9520472-1-9)
[10] Boorman S. (1969), The Protracted Game: A Wei Ch’i Interpretation of Maoist Revolutionary Strategy. Oxford University Press, New York.
[11] Pinkard W. (2001), Go and the Three Games. Kiseido Publications Corporation, Singapore.
[12] Yasuda Y. (2003), Le go, un outil de communication. Ed. Chiron, Paris.
[13] Shanghai Institutes for International Studies, Annual Report, 2014.
[14] Dong Wang (2015), Is China Trying to Push the US out of East Asia? China Quarterly of International Strategies Studies, World Century Publishing Corporation, Singapore.
[15] Daojiong Zha (2015), China’s Economic Diplomacy: Focusing on the Asia-Pacific Region. China Quarterly of International Strategies Studies World Century Publishing Corporation, Singapore.
[16] Kejin, Zhao Gao Xin (2015), Pursuing the Chinese Dream: Institutional Changes in China’s International Strategy under Xi Jinping, China Quarterly of International Strategies Studies World Century Publishing Corporation, Singapore.
[17] China-Central and Eastern European Countries Investment Cooperation Seminar, Project Handbook, Ningbo, 2015.
[18] Pour plus de détails, à voir, Jocurile minții, dans Emil Constantinescu, Nicolae Anastasiu, Resurse minerale ale României. Vol. I. Minerale industriale și roci utile, Éditions de l’Academie Roumaine, Bucarest, 2015.
[19] Dans Prolegomene à Uniunea Europeană în contextul unei lumi în schimbare. Fundamente istorice, valori, instituții, politici, Nicolae Păun (coordonnateur) mentionne le besoin de différentier les civilisations antiques transnationales comme la civilisation hellène ou romane, les civilisations nationales avec portance mondiale (française, espagnole, britannique, portugaise), les civilisations nationales avec portance réduite au niveau international (allemande, néerlandaise, russe), civilisations régionales de confluence (scandinave, sud-est européenne, baltique, autrichienne/central-européenne, qui dérivent de la géographie du continent et les options des habitants de ces espaces.
[20]Emil Constantinescu, „Rediscovering the Levant: An Opportunity for 21st Century Western Civilization. The motive and mission of an Institute for Levantine Studies in Romania” dans The International Journal of Levant Studies, vol. 1/2019, Éditions de l’Université de Bucarest, Bucarest, 2020.
[21] Edmund Husserl, The Vienna Lecture Philosophy end The Crisis of European Humanity in the Crisis of European Sciences and Transcendental Phenomenology, Nord-Western University Press, 1970.
[22] Claude Levi-Strauss, Le regard éloigné, Éditions Plon, Paris, 1983.
[23] Treaty of Amsterdam amending the Treaty on European Union, the Treaties establishing the European Communities and certain related acts, Official Journal C 340, 10/11/1997, P. 0001 – 0144, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A11997D.
[24] https://www.europarl.europa.eu/news/ro/press-room/20210208IPR97326/ue-este-cadrul-potrivit-pentru-a-face-fata-pandemiei-dar-este-nevoie-de-reforma.